Au mois de mars dernier, l’Ecole du Bolchoï brésilienne a fêté ses dix ans. Installée à Joinville, dans le sud du pays, elle est la seule annexe hors de Russie du prestigieux théâtre moscovite. Comment expliquer ce privilège ? A l’origine, il y a le Festival de danse de Joinville créé en 1980. Cette année-là, en 1996, l’ancien maire de la ville est assis aux côtés du directeur artistique du Bolchoï, Alexandre Bogatyrev [décédé en 1998] lors du spectacle de la compagnie russe. L’élu voudrait que sa ville devienne une étape incontournable du circuit artistique mondial. Bogatyrev, lui, rêve de monter une école hors de Russie, pour exporter les idéaux et les méthodes du célèbre théâtre. Le projet est ambitieux mais se réalise.
Associant professeurs russes et brésiliens, le Bolchoï de Joinville propose une formation de base de deux ans en danse classique ou contemporaine. Mais le cursus complet exige huit ans d’études. Pour y entrer, il faut avoir la vocation, du talent et de la persévérance. La journée, qui dure huit heures, se partage entre la danse et l’enseignement général, dispensé par un établissement voisin. Le pianiste Pavel Kazarian, 31 ans, dirige l’établissement. Quand on lui demande ce qui différencie les danseurs brésiliens de leurs homologues russes, il répond : “Les Brésiliens n’ont pas se à demander ce qu’ils ont de différent. Notre tradition de ballet remonte à plus de deux cent trente ans. Et, auparavant, c’étaient les Français puis les Italiens qui avaient nourri notre culture classique de la danse. Les Brésiliens ne sont ni meilleurs ni pires. Il y en a de très bons. Il y a déjà des Brésiliens célèbres dans le monde de la danse, par exemple Marcelo Gomes.”
Tout en perpétuant la méthode Vaganova, qui reste la base de l’enseignement dispensé par les professeurs russes, l’école reste ouverte à des influences diverses. “Le melting-pot ethnique et culturel brésilien m’a frappé. Ces dernières années, le pays s’est beaucoup développé. Dans ce contexte, le Bolchoï a son rôle à jouer dans l’inclusion sociale. C’est notre façon de participe au développement”, analyse Kazarian. Il estime qu’un des points forts des élèves brésiliens est leur familiarité avec la capoeira. “Elle donne de la souplesse, du jeu de jambes et permet de sauter très haut mais aussi de faire des mouvements que personne d’autre n’est capable de faire.”
L’école est une structure à but non lucratif. Sur les 227 élèves, seuls huit paient intégralement la mensualité de 230 euros, et une vingtaine paient de 20 à 40 euros. Les autres, issus de familles modestes, voient leurs études financées par des entreprises ou des mécènes. Sylvana Albuquerque, physiothérapeute, ancienne élève de l’école, part en quête de talents aux quatre coins du pays. Elle cherche à détecter la valeur artistique des candidats : “Le Bolchoï est une voie possible, mais pas la seule. Quand nous ne prenons pas un enfant, cela ne signifie pas qu’il ne peut pas danser mais qu’il ne satisfait pas aux exigences de notre école.”
Afin que les élèves se sentent chez eux, l’école, en partenariat avec les Etats brésiliens, a créé une “maison” pour chaque Etat représenté. En leur sein, on trouve obligatoirement une “mère sociale” – qui est généralement la mère d’un des élèves. Une véritable mère poule qui contrôle tout, des amourettes aux devoirs. L’école sait exporter ses talents. Deux ont rejoint le Ballet national polonais, trois font partie de l’Austrian Ballet, un autre est à l’Opéra de Vienne, d’autres sont à l’American Ballet à San Francisco ou au Boston Ballet. Et Mariana Gomes est la seule Latino-Américaine à être membre du Bolchoï de Moscou.